Quelle est la bonne couverture? Facile, il y a les lettres... et le musicien est donc tombé sur la tête.
Deux disques de soliste chez Hyperion auront suffi à Esfahani pour obtenir un contrat chez Universal... Ce disque Archiv propose un programme, ce qui éveille toujours des craintes.
Time past: Scarlatti, CPE, Corelli révisé par Geminiani, JSB;
Time present: Gorecki, Reich.
Le passé permet à Esfahani de briller dans les variations sur la Follia de Scarlatti et CPE. Joueur, le voici qui se contraint au continuo dans la sonate de Corelli transposée en concerto grosso par Geminiani (peut-être ne le fait-il même pas; la pochette nomme le claveciniste de Concerto Köln pour cette œuvre). Il accepte de revenir au premier plan pour le
ré mineur BWV 1052. Concerto Köln joue en effectif réduit, les cordes par deux, avec la surprise d'un continuo renforcé par un luth. L'équilibre qui en résulte diffère grandement de celui établi jadis par un grand pianiste comme Richter. Le premier mouvement est magnifiquement construit, même si le soliste prend plaisir à montrer que Bach détourne les motifs motoriques de Vivaldi qui lui a servi de modèle (de manière générale dans les concerti, pas dans celui-ci en particulier) pour créer une grande forme à l'architecture puissante. Aucun emballement rythmique à justification virtuose dans ces motifs: tout est magnifiquement articulé.
Le second mouvement surprend davantage. Le premier motif du thème est joué comme un pur arpège, ce qui le détache de la suite de la phrase. L'auditeur doit réinterpréter, à posteriori, ce qu'il vient d'entendre, pour reconstituer le thème complet. Le soliste joue ensuite sur le rythme (sur l'agogique, en fait) pour montrer que la partie de soliste est presque entièrement constituée de mordants, trilles et autres ornements. C'est au "halètement" (dixit Esfahani) des cordes qu'il revient d'assurer le liant mélodique. Très étonnant.
Dans le mouvement final, vivement enlevé, le soliste a déniché une cadence de Brahms, dont les dissonances audacieuses évoquent Schönberg!
Riche défense, donc, du
time past. Voyons le
time present.
Au nom du minimalisme qui lui sert de mot d'ordre, Esfahani a retenu le concerto de Gorecki que je trouve, personnellement, très dispensable. C'est quelque chose entre la musique de carrousel et la musique d'ascenseur, qui m'ennuie inexorablement après trente secondes. A réserver aux snobs, pour qu'ils le sifflent dans les escaliers de la Défense un jour de panne d'ascenseur, peut-être?
Piano phase, qui est donc transposé et enregistré en multipiste, pose un problème différent. Écoutée au casque, la pièce me fait grimper aux rideaux en moins de deux minutes (et elle en dure seize). Mais aux haut-parleurs, les effets de spatialisation, renforcés par la manipulation de l'enregistrement pour recréer les effet de passage d'un instrument à l'autre voulus par
Reich (la vidéo vaut le coup d’œil!), le double flux d'harmoniques qui vient caresser chaque oreille indépendamment de l'autre, crée une sorte de fascination.
A propos de manipulation de l'enregistrement: il me semble bien entendre quelques diminuendi de clavecin dans le ré mineur: jouerait-on du potentiomètre, Monsieur Esfahani? Et une pièce comme le concerto de De Falla, minimaliste à sa manière, n'aurait-elle pas mieux assuré la défense du
Time present?
Disponible sur Qobuz, pour se faire une oreille. Mais le CD est déjà à la maison.