Modern Jazz QuartetDifficile de passer sous silence ici, et pour l'occasion je vais essayer de proposer la plupart des disques que j'ai en doublon. Disons plutôt en triple, quadruple ou plus tant j'ai quand même envie d'avoir des doublons pour mes vieux jours. L'ensemble de ces disques seront bientôt totalement hors de prix. Le MJQ est un classique de l'audiophile. Je m'en amuse un peu, mais certains s'en moquent ouvertement: le MJQ serait un jazz populaire et facile. Mais pourquoi le contester? Ne pas être élitiste ne constitue pas, a priori en tout cas en ce qui me concerne, un défaut rédhibitoire. Disons que le MJQ présente plusieurs traits constants tout au long des 40 années de carrière si l'on va jusqu'au bout:
- un niveau d'interprètes très élevé. Là je ne plaisante pas. Dire que c'est du Jazz facile pourquoi pas, mais la plupart des instrumentalistes prétentieux devraient y réfléchir calmement. C'est techniquement et musicalement très abouti. Quiconque a vu les dessins préparatoires de Guernica dans la partie du Prado dédié, savent ce dont Pablo Picasso était capable en terme de dessin académique. Les membres du MJQ sont tous d'excellents instrumentistes.
- Des enregistrements aboutis. Si vous voulez tester un jour la musicalité, disons le naturel de votre système, il ne faut pas faire l'impasse. Avec un pressage de qualité de "Django" et même les différents concerts sont très intéressants. C'est même troublant pour des enregistrements Prestige qui sont Mono.
Mais nous allons le voir maintenant, le MJQ ça n'est pas
forcément du Easy Listening
à l'origine du MJQ il y a deux musiciens: Le pianiste John Lewis et le batteur Kenny Clarke se rencontrent pendant la seconde guerre Mondiale à Paris. Kenny Clark a déjà 30 ans. Il a cherché par tous les moyens à échapper à ses obligations militaires. Il vit depuis presque 10 ans en tant que musicien professionnel. C'est un ami dès 1938 de Dizzy Gillespie. Il a longtemps joué avec Roy Eldridge et même Count Basie. Ne pas oublier qu'avant guerre, le format directeur du Jazz ce sont ces grands Big Band. Clarke vit à 300 à l'heure. Il a juste le temps d'épouser Carmen Mc Rae avant d'être rattrapé au sens propre par "la Patrouille". C'est dans ce contexte qu'il rencontre à Paris un jeune pianiste surdoué de 24 ans: John Lewis. Lewis est élevé par sa grand mère dans un milieu social plus "conservateur". Lewis apprend d'abord le piano classique avec Bach (et ça aura son importance dans la vie du MJQ) et Chopin. Il a un contact de "loisirs" avec le Jazz que sa tante danse et écoute.
Les deux hommes jouent donc ensemble et de suite Clarke, qui sera plus tard un grand enseignant de la Batterie (et influencera le Jazz Français et son jeu de batterie pour la deuxième moitié du 20ème siècle en formant les grands batteurs français) sent que Lewis est un excellent musicien.
De retour à New York en 1946, c'est assez naturellement que Clarke présente Lewis à Gillespie qui cherche à remplacer Monk dans son orchestre. Lewis est embauché pour remplacer Monk, Clarke remplace Max Roach. Ils vont jouer au milieu, excusez du peu, d'une des plus riches section rythmique de l'histoire des Big Band. Ils sont accompagnés de Ray Brown à la basse, et Milt Jackson au vibraphone. Et c'est là que va naitre réellement le Modern Jazz Quartet.
Benny Goodman dans les années 30 demandaient à 3 de ses musiciens de la section rythmique de jouer des entractes pour que la section de cuivre puisse souffler au sens propre quelques minutes. Il faut imaginer ce que c'est de souffler pendant plusieurs dizaines de minutes avec intensité dans un instrument à vent au milieu d'une formation de cuivre sans retour. ça joue fort et longtemps. Il faudra qu'on en reparle à un autre moment, mais les cuivres ce sont les cordes des orchestres noirs de Jazz. C'est primordial. Tout s'organise autour d'eux jusqu'à ce que Count Basie rende un immense service à la direction depuis un piano. Gillespie demande donc à sa section rythmique, le fameux quartet (Lewis, Jackson, Clarke et Brown) de jouer des standards de Jazz pendant 5 minutes deux ou trois fois par concert. Tout le monde se met à aimer ça (y compris les cuivres qui font quelques solos au milieu trouvant l'exercice très musical) le public également. Les 5 minutes deviennent 10 puis un quart d'heure. Le Quartet devient une évolution moderne du Jazz Big Band. Vous voyez où je veux en venir ? Le Milt Jackson Quartet est né !
Quelques évolutions notables en deux temps. Ray Brown quitte la formation pour s'investir dans la carrière musicale de son épouse: Ella Fitzgerald. Il va signer chez Verve en l'accompagnant.
Milt Jackson a rencontré deux frères membres du Howard Mc Ghee Sextet: les frères Health. Percy Health est un excellent Bassiste. Au départ de Brown en 1952, Percy Health le remplace définitivement dans la section rythmique du Big Band et dans le Milt Jackson Quartet.
Jusqu'à la fin du Big Band, Gillespie leur demande quand même de se focaliser sur des reprises de standard. Le Milt Jackson Quartet assure à la fin presque 20 minutes d'entracte. Ce sont des instrumentistes chevronnés. A la dissolution du Big band, ils vont enregistrer plusieurs albums qui sont pour moi les vrais premiers disques du MJQ:
1951En Aout 1951 sort le 25 cm Dee Gee Presents The Milt Jackson Quartet
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Des classique que des classiques. Je n'ai pas encore ce disque
1952Ils enregistrent en avril 1952 avec Lou Donaldson un album
qui sortira en 1955 chez Blue Note avec des rajouts du Quintet de Monk:
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https://youtube.com/playlist?list=PLBZm ... xIMZlG2g0FLe son MJQ est déjà là. Bien sûr le Vibraphone de Jackson... C'est un très bel album
1953un 25cm qui constitue le premier enregistrement chez Prestige en 1953:
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Ce disque sort finalement deux ans avant l'enregistrement précédent. Il est moins connu parce qu'il est franchement en dessous en terme de qualité de pressage du Blue Note. C'est pour autant très très beau. Et surtout, Lewis prend un peu plus la main. Il voudrait que le Quartet soit un peu plus "Moderne" dans ces choix.
1955En 1955 nous avons droit à ce disque toujours composé de standards
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https://youtube.com/playlist?list=PL0q2 ... X-uVdusNyNRuddy Van Gelder assure l'enregistrement... La patte de Lewis s'affirme.
En 1955 chez Prestige (et chez Barclay en France sous le titre MJQ volume 2 pour qu'on s'y retrouve un peu !) sort
The Modern Jazz Quartet
Encore Ruddy Van Gelder, mais là ça y est, Lewis compose beaucoup de titre du disque. On a basculé vers autre chose qui ne pourra plus s'appeler Milt Jackson Quartet. C'est le début d'une vision plus moderne, ouverte notamment sur le contrepoint de Bach, et une influence Jazz différente. Le Modern Jazz Quartet est vraiment né!
Et là sort un des premiers 30cm Prestige
The Modern Jazz Quartet – Concorde
C'est la première participation dans le groupe de Kay qui vient de remplacer Kenny Clarke. Kenny Clarke est en fait parti depuis janvier 1955. Après les premiers enregistrements, et les enregistrements avec Rollins et Drew, le Quartet donne une série de concert en tant que Quartet au Birdland. Rappelez vous, on est à la fin d'un cycle. Le public est habitué à un Jazz de Big Band, et finalement même avec des petites formations à un jazz joué relativement "fort". L'idée de Lewis, et finalement acceptée par l'ensemble du Quartet, c'est d'imposer un Jazz qui intègre le contrepoint cher à Lewis. Une musique qui va jouer sur des inflexions plus légères, sans doute plus sophistiquées. Et le MJQ fait le pari d'imposer le silence à un public très bavard et bruyant (il faut fréquenter un club newyorkais encore aujourd'hui pour le saisir) et jouant doucement. ça marche, sauf que... Et bien Clarke ne sait pas trop si c'est sa manière et son envie de jouer du Jazz. ça peut paraitre fou, mais même s'il veut bien l'intégrer, est ce que c'est ce qu'il veut faire? Clairement non... Clarke marquera l'Histoire du Jazz sur un point: le rythme est marqué à la Cymbale et non par la caisse claire. La caisse claire et la grosse caisse deviennent des éléments de modulation, de variation et donc de la phrase rythmique. S'il faut jouer un jazz moins fort, cela se fait au détriment de l'expression du batteur dans une telle dimension.
Le départ de Clarke n'est pas anodin. C'est vrai choix, mais aussi une vraie déchirure pour Lewis et même Jackson. le MJQ s'engage dans un nouveau chemin. Ce nouveau Chemin se fera quasiment exclusivement, à quelques exceptions dont je vous parlerai, chez Atlantic. Justement Atlantic possède en ses rangs un solide batteur qui s'est frotté au Jazz avec Lester Young, Miles et Gray, mais aussi au rythm and blues: Connie Kay. Chose amusante: il est envisagé au départ comme un remplaçant de Clarke. Il va finalement faire partie du MJQ jusqu'à la fin. Le groupe est stabilisé. Ses quatre membres vont jouer ensemble pendant presque les 40 années à venir.
1956En 1956 sort chez Savoy
Modern Jazz Quartet (oui je sais c'est d'un pratique pour s'y retrouver) ... qui reprend le Dee Gee Presents The Milt Jackson Quartet et ajoute le contenu de deux 25cm en 78 tours Shellac sortis également chez Hi-Lo Records
cela explique que ce disque sorti en 1956 présente Ray Brown à la Basse pour ceux qui suivent!
toujours en 1956 sort chez Prestige
Sonny Rollins With The Modern Jazz Quartet Featuring Art Blakey And Kenny Drew
qui reprend le 45 tours suivant
Sonny Rollins With Modern Jazz Quartet de 1954 chez Prestige
et deux 25 cm de 1952 qui n'ont pas grand chose à voir avec le MJQ si ce n'est que Percy Health qui vient de faire l'interim de Ray Brown au sein du Big Band de Gillespie.
C'est bien pour ne pas avoir à trouver le fameux 45 tours!
La vraie sortie de 1956, c'est un album mythique !
Django
https://youtube.com/playlist?list=PL4gU ... HUqYu3YSTXEt là ça devient amusant... Parce que le mythe n'est en fait qu'une reprise, avec certes une fabrication complète d'un nouveau Master (et quel Master!) de
et de la face A de
Donc l'album mythique, celui qui va fonder le MJQ et sa patte sonore si particulière n'est qu'une reprise d'un matériel sonore déjà existant. Certes le travail de Mastering est prodigieux. Je possède les deux pressages précédents et c'est très en dessous en terme de gravure. J'ai du avoir entre les mains plusieurs dizaines de repress de qualité des années 60 mais surtout 70 et 80. C'est toujours très bon, voir même excellent!
C'est un grand classique. et ce n'est pas pour rien. C'est un des plus fabuleux enregistrements Mono. C'est incroyable de présence.
Le premier Album chez Atlantic du MJQ Fontessa
https://youtube.com/playlist?list=PL0q2 ... CcNnILwdmzUn album avec un fort parti pris esthétique. John Lewis en dit la chose suivante dans ses notes:
Fontessa is a little suite inspired by the Renaissance Commedia dell’Arte. I had particularly in mind their plays which consisted of a very sketchy plot and in which the details, the lines, etc. were improvised. This suite consists first of a short Prelude to raise the curtain and provide the theme. The first piece after the Prelude has the character of older jazz and improvised parts are by the vibraphone. This piece could perhaps be the character of Harlequin. The second piece has the character of less older jazz and the improvised parts are played by the piano. The character here could perhaps be Pierrot. The third piece is of a still later jazz character and develops the main motif. The improvised parts are by the drums. This character could perhaps be Pantaloon. The opening Prelude closes the suite. Fontessa is the three-note main motif of the suite and is perhaps a substitute for the character of Colombine.
En fait, on retrouve d'ores et déjà ce que Lewis et Jackson veulent faire avec le MJQ: construire autour d'un thème en introduisant un concept musical externe au Jazz. On est loin d'une musique spécifiquement afro américaine. Je dis cela sans porter un jugement positif ou négatif, mais c'est aussi un contrepoint culturel important. Tout est là pour la suite du MJQ. C'est un album fort et marquant. Il sera classé 25eme sur 100 dans le classement historique du Jazz par le British Jazz magazine en 2006.
Chose intéressante pour les audiophiles, il y a deux versions consécutives de cet album. Un master mono et un stéréo. Songez que nous sommes presque 10 ans avant les Beatles ! J'ai les deux et la Stéréo n'est pas une absurdité gadget telle que l'on peut en croiser.
Un point important: je corrige beaucoup de discographie qui font l'erreur d'inverser chronologiquement cet album et le suivant, que certaines placent avant: Fontessa est enregistré en janvier 1956, le suivant lors de l'été 1956 (exactement le 28 aout 1956 et peut être avec quelques sets supplémentaires le lendemain).
Une remarque, fuir le premier pressage (où quelques morceaux sont clairement mal mastérisés) et la réédition Speaker Corner qui est une bouillie infame !
The Modern Jazz Quartet Guest Artist: Jimmy Giuffre – The Modern Jazz Quartet At Music Inn
https://youtube.com/playlist?list=OLAK5 ... ghYOEuIt0ALe titre doit vous sembler bien long... Pour autant, il a son importance. Le Music Inn est un camp d'été dans la campagne du Massachusetts. Il a pour objectif d'organiser des rencontres de musiciens. D'abord destiné à des interprètes classiques, ce camp s'ouvre dès l'été 1955 aux musiciens de Jazz. Les débats sont vraiment forts et importants. Le Jazz se libère totalement d'un point de vue formel. Il s'est développé avant guerre et depuis la fin de la Guerre dans de multiples directions. Les musiciens ont envie de débattre. Lewis qui tient toujours à son intégration d'une voix intégrant le contrepoint et des éléments plus modernes de composition, participe activement à ses débats. Milt Jackson également, et Connie Kay a de multiples contacts de part ses interventions dans beaucoup de formations musicales. Très tôt John Lewis est persuadé que Jimmy Giuffre va être intéressé par les nouvelles compositions du MJQ. Il pense que Giuffre est le musicien le plus en proximité avec le MJQ. La session a lieu en aout 1956. ils échangent en amont (Giuffre est sur la côte Ouest, le MJQ est basé sur la côte Est) et se retrouvent en Aout pour mettre tout cela au point.
1957On continue dans le simple niveau titre pour suivre !
The Modern Jazz Quartet –
The Modern Jazz Quartet
Enregistré en Avril 1957 et clairement mal identifié sur le plan qualitatif. Cet album dispose d'un enregistrement de meilleure qualité que le Fontessa. C'est le disque "verre de Whisky" au même titre que Django. Milt Jackson et Lewis vont déjà très très loin en terme de groove et d'instruments placés. ça joue des standards avec brio, sobriété et un son...
The Modern Jazz Quartet And The Oscar Peterson Trio – At The Opera House
https://youtube.com/playlist?list=OLAK5 ... x9VcHNFyCcUne incursion chez Verve des deux formations enregistrées le 19 Octobre 1957 au Opera House à Chicago. 3 titres pour le MJQ. Norman Granz est un petit malin et peut produire un disque du MJQ hors Atlantic. à noter que les 5 titres du Oscar Peterson Trio sont excellents également.
1958The Modern Jazz Quartet at Music Inn Volume 2 - Guest Artist: Sonny Rollins De retour au Music Inn (voir plus haut) au mois d'Aout 1958, le MJQ va enregistrer 6 titres, dont les deux derniers en Quintet avec Sonny Rollins : un fabuleux Bag's groove de Milt Jackson et une version de Night at Tunisia assez fabuleuse également. Nous sommes toujours dans cette idée d'ateliers: une réflexion sur ce que va être l'articulation des quartet et des quintet qui nous semblent aujourd'hui si familiers.
C'est alors pour la critique, le meilleur album du MJQ.
The Modern Jazz Quartet – “No Sun In Venice”
La même année sort la musique d'un film de Roger Vadim "No sun in Venice" (en Français "sait on jamais"). Le film a disparu de l'Histoire du cinéma. Vadim vient de réaliser "Et Dieu créa la Femme", il a la trouille que ce dernier soit un échec commercial et surtout censuré. Il recrute Françoise Arnoul et Robert Hossein. La musique est composée par Lewis et est interprétée par le MJQ. Il sort en 1958 bien qu'il ait été enregistré en 1957.
1959The Modern Jazz Quartet – Music From "Odds Against Tomorrow" Lewis écrit encore pour le cinéma, et le MJQ interprète encore la partition. Odds Against Tomorrow (Le Coup de l'escalier en français, film de 1959 de Robert Wise) va un peu plus marqué l'Histoire du cinéma que le film de Vadim. Avec Harry Bellafonte en premier rôle, il décrit l'histoire de la préparation d'un cambriolage vengeur sous forme de racisme. Pour la petite histoire, c'est le film préféré de JP Melville.
Contrairement à "No sun in Venice", Lewis compose les morceaux en visionnant les rushs du film. (on n'est quand même pas dans la même situation que l'improvisation magistrale face aux rushs d'Ascenseur pour l'échaffaud).
https://youtu.be/C6e3j0F2AK0https://youtu.be/qvhtTw2mA78
Dernière édition par
lcartau le 01 Mai 2023 à 19:51, édité 2 fois.