Les treize motets isorythmiques Etalés sur une vingtaine d’année (le dernier probablement composé en 1442), les treize motets isorythmiques (du grec « rythme égal ») de G. Dufay constituent l’œuvre majeure de la première moitié de sa carrière. Toutefois, ils ne constituent pas, à proprement parler, un cycle cohérent.
Ils reposent, certes, sur une même technique, mais ils sont écrits, d’abord, pour des circonstances particulières, politiques, sociales ou culturelles. En outre, tandis que les premiers sont relativement courts, les derniers motets sont d’amples et majestueuses compositions. Leur point commun est leur forme isorythmique. Le motet isorythmique, conceptualisé au mitan du XIVème siècle par l’Ars Nova de Machaut, Dunstable et d’autres (l’Ars Nova est, au sens strict, un traité musical créant une nouvelle notation, offrant de nombreuses possibilités théoriques et pratiques ainsi qu’une plus grande facilité à pratiquer la musique et prônant l’introduction d’éléments profanes dans la musique religieuse, développée entre 1320 et 1380 par des compositeurs et théoriciens comme Ph. De Vitry ou Guillaume de Machaut ; le terme désigne plus largement la musique française de cette période et la musique polyphonique européenne), est une œuvre dans laquelle une formule rythmique ou période est constamment répétée (jusqu’à 8 fois) dans une ou plusieurs voix, alors que la mélodie se modifie. Cette ligne mélodique (le cantus firmus), d’une douzaine de notes (clin d’oeil, quelques siècles plus tard, à un certain dodécaphonisme…), peut être répétée sur plusieurs voix, selon les principes de la paraphrase ou de l’imitation (c’est-à-dire qu’un motif mélodique entendu dans une voix était répété successivement et à des hauteurs variables par les autres voix. L'imitation pouvait donner lieu à des constructions fort savantes en faisant entendre une même mélodie, "par augmentation" de durée, par "diminution", par "mouvement contraire", par "mouvement rétrograde" etc), ou en faux bourdon, mais toujours structurée sur un rythme égal. Mélodie et rythme se combinent ainsi en s’enchevêtrant, puisque la longueur de la période isorythmique ne coincidera pas dans chacune des voix.
Cette isorythmie apparaît dans la voix de ténor, mais elle peut apparaître au niveau de chaque voix, comme chez G. Dufay. La plupart des motets isorythmiques sont alors « pluritextuels », c’est-à-dire que différents poèmes sont chantés en même temps. La mélodie du cantus est doublée par le ténor et le contreténor, respectivement à la sixte et à la quarte inférieure, ce qui produit des accords très caractéristiques et surprenants, et même dissonants, pour notre oreille formatée à l’harmonie issue du XVIIIème siècle. « Chez John Dunstable, Guillaume Dufay et Gilles Binchois, la dissonance est préparée, elle est un moment de passage règlementé entre deux consonances. Elle ne trouve plus guère place sur des points d'appui rythmiques, sur ce que l'on appellera plus tard les temps forts de la mesure, sinon comme le prolongement d'une consonance, comme sur la suspension d'une voix sur une autre en mouvement; elle est rapidement résolue, dissoute dans une nouvelle consonance » (R. Wangermée). C’est une grande partie de la magie et de l’étrange beauté de cette musique nouvelle.
La mélodie peut être répétée sous quatre formes rythmiques différentes, à condition que les répétitions s’inscrivent les unes par rapport aux autres dans un rapport mathématique donné ; la structure du motet isorythmique impose que les différentes voix se rencontrent très précisément à l’issue de chaque période rythmique, moment un peu « magique » pour l’auditeur. Si la structure des motets isorythmiques est purement vocale, il n’est pas rare qu’ils soient accompagnés par des instruments (parfois nombreux selon la richesse de la cour devant laquelle ils sont exécutés), selon le lieu et les circonstances d’exécution :
Les motets de Dufay constituent le zénith du concept polyphonique médiéval préparé par Machaut et Dunstable et la fin d’un concept formel.
L'intégrale des motets isorythmiques par Paul Van Nevel
(à suivre)