Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
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Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#1 par Moska » 20 Oct 2011 à 20:34
Je lance cette filière sur l’un des plus grands compositeurs français, toutes époques confondues, dont la musique m’émeut tout particulièrement.
Qu’elle puisse inciter certains d’entre vous à la découvrir ou à l’approfondir est mon unique vœu.
Qu’elle puisse inciter certains d’entre vous à la découvrir ou à l’approfondir est mon unique vœu.
Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance

Guillaume Dufay ou Du Fay (prononcez « Dufaille ») est probablement né en 1397, d’une femme nommée Marie Du Fayt et d’un prêtre demeuré inconnu, dans la région de Cambrai, dans le Cateau-Cambrésis. Si l’on ne sait rien de ce prêtre, il est parfois avancé qu’il aurait continué à voir l’enfant et l’aurait encouragé dans sa vocation religieuse ainsi que dans ses études musicales.
Son époque est celle de la fin de la guerre de cent ans qui a déchiré la France et au-delà. Il naît dans le puissant duché de Bourgogne qui s’est agrandi des Flandres et de l’Artois. Sous le règne de Philippe Le Bon (1396-1467), ce duché devient un Etat indépendant et déploie au cours d’une brève apogée toute la richesse de la culture du moyen âge finissant. Ce crépuscule du moyen âge allie les formes anciennes amenées à un point de stylisation extrême, au dynamisme d’une nouvelle époque.

Philippe le Bon
Guillaume Dufay est l’artisan de cette nouvelle musique qui trouve un écho direct avec l’avènement des premiers grands peintres flamands (Van Eyck et Vand der Weyden) qui font entrer le spectateur dans leur tableau par le jeu de la perspective récemment découverte.

Jan Van Eick
Le jeune Dufay commence des études de choriste à la cathédrale de Cambrai, important centre musical des Flandres, réputé pour la musique sacrée, qui fournit des musiciens au Vatican. Il y est admis comme enfant de chœur en 1409.
D’après le peu de sources dont on dispose, il semble que le jeune Dufay s’est révélé être un jeune élève très doué. Parallèlement il entreprend d’embrasser les ordres. Ces deux dernières circonstances expliquent vraisemblablement qu’il soit emmené au Concile de Constance, en 1414 à 1418, dans la suite de l’évêque de Cambrai.

Concile de Constance
Ce voyage est sans doute déterminant dans la vie du jeune Dufay : à Constance, celui-ci a croisé de nombreux musiciens (accompagnant les prélats venus au Concile), maîtres flamands, anglais (notamment Dunstable, compositeur et mathématicien de renom, dont on sait qu’il connaissait les travaux sur la polyphonie), et italiens. Son œuvre est, précisément, le résultat de la synthèse des écoles française et bourguignone-flamande, anglaise et italienne.

John Dunstable (1390-1453)
(à suivre)
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Re: Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#2 par kaneda64 » 20 Oct 2011 à 21:55
Tout d'abord, c'est un grand plaisir de te voir reprendre le cours de tes filières musicologiques.
Je me souviens de quelques moments d'anthologie.
Je connais mal Guillaume Dufay, mais j'attends la suite avec impatience.
Je me souviens de quelques moments d'anthologie.
Je connais mal Guillaume Dufay, mais j'attends la suite avec impatience.
François
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Re: Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#3 par Moska » 21 Oct 2011 à 08:33
Revenu à Cambrai en 1418, Dufay y est nommé sous-diacre. Il ne reste que peu de temps à Cambrai. Il retourne, dès 1420, en Italie à la riche cour de Rimini, preuve sans doute de son immense talent. Il compose ses premières œuvres, des motets, qui nous soient parvenues. Sa renommée s’affirme et, dès les années 1425, il est considéré comme un compositeur important. Vraisemblablement pour des raisons familiales, il rentre à Cambrai en 1424. Peu de temps puisque sa présence est avérée à Bologne en 1427. Il est ordonné prêtre en 1428. Puis il gagne Rome, auprès de la chapelle papale, avant de rejoindre la cour de Savoie où Dufay dirige la chapelle de la cour ducale, renommée à l’époque comme la meilleure du monde. Il partage cette décennie entre Chambéry, Florence, ville qu’il adore (en 1436, il compose, pour l'inauguration du dôme de la cathédrale de Florence le fameux motet Nuper rosarum flores), et Lausanne.
Le fameux dôme de la cathédrale de Florence, prouesse architecturale
En 1437, il réside à la cour de Bourgogne où il rencontre et se lie d’amitié avec Gilles Binchois, musicien officiel de la cour, grand compositeur de chansons savantes et de rondeaux, originaire des Flandres, comme lui.
Guillaume Dufay et Gilles Binchois à la cour de Bourgogne devant un clavicytherium
De retour à Cambrai en 1439, il est directeur de la maîtrise de la cathédrale. Après quelques brefs séjours à la cour de Savoie, il retourne définitivement à Cambrai à partir de 1458 où il exerce de hautes fonctions ecclésiales. Il devient notamment maître des petits vicaires en 1459. Il est alors considéré comme le plus grand musicien d’Europe. Il est apprécié des plus grandes cours et dispose de revenus appréciables. A partir de son retour à Cambrai, il compose ses plus grandes œuvres liturgiques, en particulier ses messes « L’homme armé » (1464) et « Se la face ay pale » ( 1450), et ses œuvres mariales et de nombreuses chansons. Il meurt à Cambrai le 27 novembre 1474.
Cathédrale de Cambrai détruite à la Révolution
(à suivre)

Le fameux dôme de la cathédrale de Florence, prouesse architecturale
En 1437, il réside à la cour de Bourgogne où il rencontre et se lie d’amitié avec Gilles Binchois, musicien officiel de la cour, grand compositeur de chansons savantes et de rondeaux, originaire des Flandres, comme lui.

Guillaume Dufay et Gilles Binchois à la cour de Bourgogne devant un clavicytherium
De retour à Cambrai en 1439, il est directeur de la maîtrise de la cathédrale. Après quelques brefs séjours à la cour de Savoie, il retourne définitivement à Cambrai à partir de 1458 où il exerce de hautes fonctions ecclésiales. Il devient notamment maître des petits vicaires en 1459. Il est alors considéré comme le plus grand musicien d’Europe. Il est apprécié des plus grandes cours et dispose de revenus appréciables. A partir de son retour à Cambrai, il compose ses plus grandes œuvres liturgiques, en particulier ses messes « L’homme armé » (1464) et « Se la face ay pale » ( 1450), et ses œuvres mariales et de nombreuses chansons. Il meurt à Cambrai le 27 novembre 1474.

Cathédrale de Cambrai détruite à la Révolution
(à suivre)
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Re: Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#4 par Flo27 » 21 Oct 2011 à 15:16
Super, intéressant, bien mis en forme = un bouquin online.
Continue
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Re: Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#5 par joperrot » 21 Oct 2011 à 22:33
En effet la Messe de l'homme Armé, œuvre passionnante et tellement actuelle et moderne...
très bien chantée entre autre par un des verts ici même !
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Amateur de musique avant d’être amateur du son. Écoute essentiellement mon transistor en faisant la cuisine.
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Re: Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#6 par Moska » 22 Oct 2011 à 11:19
Guillaume Dufay est l’auteur d’une abondante œuvre religieuse, composée de messes (au nombre de 8), de motets (22 dont 13 isorythmiques), de magnificats, d’hymnes et d’antiennes ; il compose le premier requiem de l’histoire de la musique (ce requiem est perdu). Il est aussi l’auteur d’une œuvre profane composée de nombreuses chansons (87) (rondeaux, ballades, virelais), auxquelles il a appliqué les mêmes procédés contrapuntiques que dans ses œuvres religieuses, se contentant d’en alléger quelque peu l’écriture, ces chansons « savantes » étant d’abord destinées à l’aristocratie, puis gagnant vers la fin du siècle le milieu bourgeois. Quelques unes de ses compositions sont purement instrumentales, mais la quasi-totalité est vocale.
Partition de Dufay
Autre partition de Dufay
Il est, aujourd’hui, reconnu comme le plus grand compositeur français du XVème siècle et le fondateur de cette école dite « franco-flamande » qui, pendant près de deux siècles (de Dufay à Ockeghem, de Josquin Des Prés à Roland de Lassus), allait porter l'art polyphonique à son apogée. Cette musique, fascinante, est injustement négligée aujourd’hui, le Baroque et ses caractères spectaculaire et virtuose, ayant tout emporté sur son passage. Pourtant, quelle modernité dans cette musique de la fin du Moyen-Age ! Je ressens Dufay comme un pont vers la modernité, un pont vers la Renaissance.
Il est évident que cette musique a fasciné des compositeurs comme Anton Webern (et plus généralement les Sérialistes) qui a rédigé sa thèse de doctorat sur Heinrich Isaac, compositeur contemporain de Dufay et faisant partie de l’école franco-flamande, ou encore Ligeti dont les grandes œuvres vocales polyphoniques puisent leurs racines dans cette musique « nouvelle ». Avant eux, il est extrêmement probable que Bach a consulté les partitions de Dufay, très répandues en Europe à partir du début de l’imprimerie. Je me hasarderai à lancer une comparaison entre ces deux maîtres : tous deux virtuoses du contrepoint, l’un (Bach) y a ajouté la conjonction de l’harmonie, tandis que l’autre (Dufay), 2 siècles auparavant, y a introduit l’expressivité, la joliesse, le sentiment, dans cette musique devenue trop mathématique.
La musique de Dufay est d’une étrange modernité. Alors que cinq siècles et demi les séparent, il est étonnant d’entendre certaines chansons de Dufay dont le thème mélodique est proche de celui d’une chanson de Simon et Garfunkel !
Comment ne pas être touché par ces sonorités qui dérangent nos oreilles habituées depuis le plus jeune âge à l’harmonie et à la tonalité ! J’ai toujours été sensible à la musique modale : nous sommes là en plein modalisme. Quelque chose d’ « inattendu » se produit avec les modes, des suites de notes « étranges », déroutantes. Et les écarts de quartes et de sixtes, très utilisés dans la musique de Dufay sont si caractéristiques… La douceur et l’humanisme qui émanent de cette musique font, naturellement, écho aux premiers grands peintres flamands, me touchent particulièrement.
Enfin, Dufay est peut-être le premier (ou l’un des premiers) compositeur qui se distingue en tant qu’auteur ; il se cite à plusieurs reprises dans ses œuvres, comme une signature de l’œuvre qu’il vient de composer. Cette prise en considération de la personnalité de l’auteur est complètement nouvelle pour l’époque qui considérait les musiciens et compositeurs avant tout comme des sujets, certes remarquables et parfois très bien payés, au service d’un seigneur ou de l’Eglise.
(à suivre la présentation des œuvres majeures et de leur interprétation)

Partition de Dufay

Autre partition de Dufay
Il est, aujourd’hui, reconnu comme le plus grand compositeur français du XVème siècle et le fondateur de cette école dite « franco-flamande » qui, pendant près de deux siècles (de Dufay à Ockeghem, de Josquin Des Prés à Roland de Lassus), allait porter l'art polyphonique à son apogée. Cette musique, fascinante, est injustement négligée aujourd’hui, le Baroque et ses caractères spectaculaire et virtuose, ayant tout emporté sur son passage. Pourtant, quelle modernité dans cette musique de la fin du Moyen-Age ! Je ressens Dufay comme un pont vers la modernité, un pont vers la Renaissance.
Il est évident que cette musique a fasciné des compositeurs comme Anton Webern (et plus généralement les Sérialistes) qui a rédigé sa thèse de doctorat sur Heinrich Isaac, compositeur contemporain de Dufay et faisant partie de l’école franco-flamande, ou encore Ligeti dont les grandes œuvres vocales polyphoniques puisent leurs racines dans cette musique « nouvelle ». Avant eux, il est extrêmement probable que Bach a consulté les partitions de Dufay, très répandues en Europe à partir du début de l’imprimerie. Je me hasarderai à lancer une comparaison entre ces deux maîtres : tous deux virtuoses du contrepoint, l’un (Bach) y a ajouté la conjonction de l’harmonie, tandis que l’autre (Dufay), 2 siècles auparavant, y a introduit l’expressivité, la joliesse, le sentiment, dans cette musique devenue trop mathématique.
La musique de Dufay est d’une étrange modernité. Alors que cinq siècles et demi les séparent, il est étonnant d’entendre certaines chansons de Dufay dont le thème mélodique est proche de celui d’une chanson de Simon et Garfunkel !
Comment ne pas être touché par ces sonorités qui dérangent nos oreilles habituées depuis le plus jeune âge à l’harmonie et à la tonalité ! J’ai toujours été sensible à la musique modale : nous sommes là en plein modalisme. Quelque chose d’ « inattendu » se produit avec les modes, des suites de notes « étranges », déroutantes. Et les écarts de quartes et de sixtes, très utilisés dans la musique de Dufay sont si caractéristiques… La douceur et l’humanisme qui émanent de cette musique font, naturellement, écho aux premiers grands peintres flamands, me touchent particulièrement.
Enfin, Dufay est peut-être le premier (ou l’un des premiers) compositeur qui se distingue en tant qu’auteur ; il se cite à plusieurs reprises dans ses œuvres, comme une signature de l’œuvre qu’il vient de composer. Cette prise en considération de la personnalité de l’auteur est complètement nouvelle pour l’époque qui considérait les musiciens et compositeurs avant tout comme des sujets, certes remarquables et parfois très bien payés, au service d’un seigneur ou de l’Eglise.
(à suivre la présentation des œuvres majeures et de leur interprétation)
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Re: Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#7 par peyrerouge » 22 Oct 2011 à 11:42
joperrot » 21 Oct 2011, 22:33 a écrit:En effet la Messe de l'homme Armé, œuvre passionnante et tellement actuelle et moderne...
très bien chantée entre autre par un des verts ici même !
Pour passionnante qu'elle soit, je ne vois absolument pas le côté actuel et moderne de l'oeuvre...
"...No dark sarcasm in the classroom..."
UNE MERVEILLE: LOVE I OBEY https://www.youtube.com/watch?v=is3ilPcIwFA
OUVERTURE Mozart: birthday https://www.youtube.com/watch?v=Qg8q1VjjeWo
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Re: Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#8 par joperrot » 22 Oct 2011 à 11:55
Parce que j ai une cartouche à dévoiler..mais il faut que je mette en ligne
Un fichier son.
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Re: Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#9 par Moska » 24 Oct 2011 à 17:50
Les treize motets isorythmiques
Etalés sur une vingtaine d’année (le dernier probablement composé en 1442), les treize motets isorythmiques (du grec « rythme égal ») de G. Dufay constituent l’œuvre majeure de la première moitié de sa carrière. Toutefois, ils ne constituent pas, à proprement parler, un cycle cohérent.
Ils reposent, certes, sur une même technique, mais ils sont écrits, d’abord, pour des circonstances particulières, politiques, sociales ou culturelles. En outre, tandis que les premiers sont relativement courts, les derniers motets sont d’amples et majestueuses compositions. Leur point commun est leur forme isorythmique. Le motet isorythmique, conceptualisé au mitan du XIVème siècle par l’Ars Nova de Machaut, Dunstable et d’autres (l’Ars Nova est, au sens strict, un traité musical créant une nouvelle notation, offrant de nombreuses possibilités théoriques et pratiques ainsi qu’une plus grande facilité à pratiquer la musique et prônant l’introduction d’éléments profanes dans la musique religieuse, développée entre 1320 et 1380 par des compositeurs et théoriciens comme Ph. De Vitry ou Guillaume de Machaut ; le terme désigne plus largement la musique française de cette période et la musique polyphonique européenne), est une œuvre dans laquelle une formule rythmique ou période est constamment répétée (jusqu’à 8 fois) dans une ou plusieurs voix, alors que la mélodie se modifie. Cette ligne mélodique (le cantus firmus), d’une douzaine de notes (clin d’oeil, quelques siècles plus tard, à un certain dodécaphonisme…), peut être répétée sur plusieurs voix, selon les principes de la paraphrase ou de l’imitation (c’est-à-dire qu’un motif mélodique entendu dans une voix était répété successivement et à des hauteurs variables par les autres voix. L'imitation pouvait donner lieu à des constructions fort savantes en faisant entendre une même mélodie, "par augmentation" de durée, par "diminution", par "mouvement contraire", par "mouvement rétrograde" etc), ou en faux bourdon, mais toujours structurée sur un rythme égal. Mélodie et rythme se combinent ainsi en s’enchevêtrant, puisque la longueur de la période isorythmique ne coincidera pas dans chacune des voix.
Cette isorythmie apparaît dans la voix de ténor, mais elle peut apparaître au niveau de chaque voix, comme chez G. Dufay. La plupart des motets isorythmiques sont alors « pluritextuels », c’est-à-dire que différents poèmes sont chantés en même temps. La mélodie du cantus est doublée par le ténor et le contreténor, respectivement à la sixte et à la quarte inférieure, ce qui produit des accords très caractéristiques et surprenants, et même dissonants, pour notre oreille formatée à l’harmonie issue du XVIIIème siècle. « Chez John Dunstable, Guillaume Dufay et Gilles Binchois, la dissonance est préparée, elle est un moment de passage règlementé entre deux consonances. Elle ne trouve plus guère place sur des points d'appui rythmiques, sur ce que l'on appellera plus tard les temps forts de la mesure, sinon comme le prolongement d'une consonance, comme sur la suspension d'une voix sur une autre en mouvement; elle est rapidement résolue, dissoute dans une nouvelle consonance » (R. Wangermée). C’est une grande partie de la magie et de l’étrange beauté de cette musique nouvelle.
La mélodie peut être répétée sous quatre formes rythmiques différentes, à condition que les répétitions s’inscrivent les unes par rapport aux autres dans un rapport mathématique donné ; la structure du motet isorythmique impose que les différentes voix se rencontrent très précisément à l’issue de chaque période rythmique, moment un peu « magique » pour l’auditeur. Si la structure des motets isorythmiques est purement vocale, il n’est pas rare qu’ils soient accompagnés par des instruments (parfois nombreux selon la richesse de la cour devant laquelle ils sont exécutés), selon le lieu et les circonstances d’exécution :
Les motets de Dufay constituent le zénith du concept polyphonique médiéval préparé par Machaut et Dunstable et la fin d’un concept formel.
L'intégrale des motets isorythmiques par Paul Van Nevel
(à suivre)
Etalés sur une vingtaine d’année (le dernier probablement composé en 1442), les treize motets isorythmiques (du grec « rythme égal ») de G. Dufay constituent l’œuvre majeure de la première moitié de sa carrière. Toutefois, ils ne constituent pas, à proprement parler, un cycle cohérent.
Ils reposent, certes, sur une même technique, mais ils sont écrits, d’abord, pour des circonstances particulières, politiques, sociales ou culturelles. En outre, tandis que les premiers sont relativement courts, les derniers motets sont d’amples et majestueuses compositions. Leur point commun est leur forme isorythmique. Le motet isorythmique, conceptualisé au mitan du XIVème siècle par l’Ars Nova de Machaut, Dunstable et d’autres (l’Ars Nova est, au sens strict, un traité musical créant une nouvelle notation, offrant de nombreuses possibilités théoriques et pratiques ainsi qu’une plus grande facilité à pratiquer la musique et prônant l’introduction d’éléments profanes dans la musique religieuse, développée entre 1320 et 1380 par des compositeurs et théoriciens comme Ph. De Vitry ou Guillaume de Machaut ; le terme désigne plus largement la musique française de cette période et la musique polyphonique européenne), est une œuvre dans laquelle une formule rythmique ou période est constamment répétée (jusqu’à 8 fois) dans une ou plusieurs voix, alors que la mélodie se modifie. Cette ligne mélodique (le cantus firmus), d’une douzaine de notes (clin d’oeil, quelques siècles plus tard, à un certain dodécaphonisme…), peut être répétée sur plusieurs voix, selon les principes de la paraphrase ou de l’imitation (c’est-à-dire qu’un motif mélodique entendu dans une voix était répété successivement et à des hauteurs variables par les autres voix. L'imitation pouvait donner lieu à des constructions fort savantes en faisant entendre une même mélodie, "par augmentation" de durée, par "diminution", par "mouvement contraire", par "mouvement rétrograde" etc), ou en faux bourdon, mais toujours structurée sur un rythme égal. Mélodie et rythme se combinent ainsi en s’enchevêtrant, puisque la longueur de la période isorythmique ne coincidera pas dans chacune des voix.
Cette isorythmie apparaît dans la voix de ténor, mais elle peut apparaître au niveau de chaque voix, comme chez G. Dufay. La plupart des motets isorythmiques sont alors « pluritextuels », c’est-à-dire que différents poèmes sont chantés en même temps. La mélodie du cantus est doublée par le ténor et le contreténor, respectivement à la sixte et à la quarte inférieure, ce qui produit des accords très caractéristiques et surprenants, et même dissonants, pour notre oreille formatée à l’harmonie issue du XVIIIème siècle. « Chez John Dunstable, Guillaume Dufay et Gilles Binchois, la dissonance est préparée, elle est un moment de passage règlementé entre deux consonances. Elle ne trouve plus guère place sur des points d'appui rythmiques, sur ce que l'on appellera plus tard les temps forts de la mesure, sinon comme le prolongement d'une consonance, comme sur la suspension d'une voix sur une autre en mouvement; elle est rapidement résolue, dissoute dans une nouvelle consonance » (R. Wangermée). C’est une grande partie de la magie et de l’étrange beauté de cette musique nouvelle.
La mélodie peut être répétée sous quatre formes rythmiques différentes, à condition que les répétitions s’inscrivent les unes par rapport aux autres dans un rapport mathématique donné ; la structure du motet isorythmique impose que les différentes voix se rencontrent très précisément à l’issue de chaque période rythmique, moment un peu « magique » pour l’auditeur. Si la structure des motets isorythmiques est purement vocale, il n’est pas rare qu’ils soient accompagnés par des instruments (parfois nombreux selon la richesse de la cour devant laquelle ils sont exécutés), selon le lieu et les circonstances d’exécution :
Les motets de Dufay constituent le zénith du concept polyphonique médiéval préparé par Machaut et Dunstable et la fin d’un concept formel.

L'intégrale des motets isorythmiques par Paul Van Nevel
(à suivre)
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Re: Guillaume DUFAY : un pont vers la Renaissance
#10 par Jubilator » 24 Oct 2011 à 21:26
Un IMMENSE merci, ça fait vraiment plaisir de lire de telles filières !!!
Comme dit Jauni du Sud (un gars rare) : "C'était mieux à Vence"
Hyène, we can !
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