Il y a beaucoup de grandes dames du violon qui se sont attaquées à ce monument : Hilary Hahn (simplement la moitié du corpus, chez Sony, mais c'est un disque extraordinaire qui a fait beaucoup pour sa notoriété. J'avais eu la chance d'assister à un concert au Festival de Verbier en 1999 – où je m'étais fait embaucher comme videur

. Il y avait bien sûr l'attrait de la virtuosité de celle qui était alors une jeune prodige, et c'est effectivement une version "jeune", dynamique, mais il y a déjà une grande sûreté du geste. J'étais ressorti de ce concert vraiment ébloui, et le disque garde quelque chose de cette impression) ; Julia Fischer, chez Pentatone, là aussi une version de très haut niveau, un peu dans le même esprit, avec peut-être moins de fraîcheur et un peu plus de maturité chez cette artiste aussi très jeune : Hilary Hahn, c'est l'évidence radicale du geste, un son d'une très grande beauté, que je qualifierais volontiers de "lumineuse", Julia Fischer plutôt une maîtrise qui semble davantage calculée, mais
très impressionnante aussi. Déception en revanche avec Amandine Beyer, chez Zig-Zag : l'impression qu'elle cherche à toute force à innover pour chaque trait mélodique, d'où une impression désagréable d'artificialité, accentuée par une prise de son proche et grossissante. Isabelle Faust a gravé une version saluée par la critique (Harmonia Mundi), mais je ne la connais pas (j'ai juste écouté quelques extraits, qui m'ont bien plu).
Sinon, la lecture extraordinaire de Sigiswald Kuijken (Deutsche Harmonia Mundi), d'une sensibilité prodigieuse mais desservie par un violon assez râpeux un peu fatigant à l'écoute (il paraît que c'est moins sensible en vinyle). Mais à petite dose, quel régal !!! C'est ma référence personnelle : en l'écoutant, j'ai l'impression d'être au cœur de la partition, de la "fabrique" de l'œuvre. Le grain particulier de violon y contribue sans doute largement, on a vraiment l'impression d'
accompagner la construction de la lecture. C'est une réussite totale, de bout en bout.
Sinon, grand souvenir de la rarissime (et du coup très chère

) version en vinyle de Patrick Bismuth, chez Stil, écoutée à plusieurs reprises chez notre regretté Jean-Pierre. Quelle présence, sur les Klipshorns ! Et une lecture de bon goût, qui n'en fait jamais trop, constamment
juste dans ses choix.
Enfin, un peu en marge car c'est une lecture assez particulière, j'ai risqué l'achat de la version de Fabio Biondi : on connaît son tempérament, il ne résiste pas à quelques fioritures, c'est clairement un Bach "méditerranéen", assez joueur, mais qui ne tombe pas dans une facilité excessive, et c'est précisément ce qui m'a beaucoup intéressé : car c'est aussi la version d'un violoniste dans sa maturité, nettement assagi par rapport à certaines exubérance de sa jeunesse. Sans doute pas "LA" version de l'île déserte, incontestable, mais une lecture très personnelle que je trouve passionnante, justement par cette place de l'ornementation, présente mais jamais gratuite. Pas du tout l'évidence lumineuse d'Hilary Hahn ou de Julia Fischer. Mais quelque chose de la profondeur de la lecture de Kuijken, avec un côté moins "nordique" ou rigoureux. Ce n'est pas non plus une version à écouter distraitement, car elle ne se livre pas immédiatement.
Voilà, en quelques mots forcément un peu trop métaphoriques

, le résumé de mon expérience de ces œuvres.