À ce que disent les scientifiques, les dinosaures se seraient éteints à cause de la chute d'une météorite géante, alors que les rusés petits mammifères auraient survécu. Autant dire que face au coup de massue planétaire que constitue l'arrivée du numérique dématérialisé, le Gibetquatorzorus Rex semble irrémédiablement condamné : il finira vitrifié dans ses certitudes, agonisant dans un bain de bextrène fondu. Nul ne se plaindra d'ailleurs de la disparition programmée de cet étrange animal velu, grand dévastateur de rosiers devant l'éternel. Quelle que soit la sympathie que l'on puisse avoir pour le plus célèbre défenseur de la LP12, il faut se faire une raison. Pour survivre, il faut apprendre à crier avec les loups du numérique : "Aro sur la galette noire !"
Vous le savez, j'ai longtemps renâclé moi aussi. Au fond, je l'aime bien, mon élevage de petits Pouarks (CD) aux reflets irisés. Ça me rassure de les voir alignés dans tous les coins du salon au milieu des vinyles et des vieux grimoires, et puis leurs petits livrets sont souvent d'une lecture instructive – sans même parler des plaisirs supérieurs qu'offrent l'écoute d'un bon vinyle ou la contemplation d'une belle pochette d'époque. L'ennui, c'est que la vie moderne a aussi ses contraintes. Il est encore possible, dans nos riantes provinces où l'espace n'est pas si chichement compté qu'à Paris, d'abriter son petit cabinet de curiosités vinyliques ou de laisser les rayonnages se déployer presque à perte de vue.
Mais à Paris, quel malheur, quelle désolation ! Quand on doit se contenter d'un bobogourbi aux proportions ridicules, il faut dire adieu à ces rêves somptuaires : comment stocker, dans 25 mètres carrés, l'intégrale des cantates de Bach par Leonhardt et Harnoncourt, la quinzaine de versions du concerto pour clarinette de Mozart que l'honnête homme se doit de fréquenter, le marathon des 555 sonates de Scarlatti par Scott Ross et tous ces merveilleux coffrets où l'on puise avec ravissement, selon l'humeur et la saison ?
On commence donc par virer les rosiers (si les tweeters rouillés n'ont pas encore rongé leurs racines), puis c'est le tour de la LP12 et de la collection de galettes noires, et on finit par les petits Pouarks irisés. À la fin ne demeure plus sur l'étagère que le strict nécessaire : un ampli Onix OA21S et (quand on est un homme de goût) le tuner assorti, le BWD1. Cela suffit dans 90% des cas : France Musique, TSF Jazz, Radio classique, FIP, on a presque toujours quelque chose de sympathique à écouter. Et puis à Paris, c'est tellement facile d'aller au concert… On pourrait bien sûr vivre ainsi très heureux jusqu'à la fin de ses jours (ou, plus modestement, jusqu'à la fin du séjour).
Mais il reste les 10%, ces moments embarrassants où France Musique nous assomme de cacophonies expérimentales auxquelles seul PP65 peut espérer survivre, où sur Radio Classique Eve Ruggieri nous invite à une croisière romantique (je crois que je préférerais encore le bain de bextrène fondu !), où TSF Jazz fait de la pub pour le dernier opus guimauve de Diana Krall. Et comble de malchance, même la Fipette est enrhumée… Dans ces rares moments, on pense douloureusement à l'absence du petit coffret Monteverdi qu'on vient de s'offrir ou au lot de disques de Jazz qu'on a tout juste récupéré grâce au Beau Nain (merci JP !

).
C'est pour éviter cette torture infernale que j'ai décidé de basculer du côté obscur et de laisser les dinosaures s'éteindre seuls, avec la fierté bravache de Dom Juan : "Pentiti !!! – No !" (vous imaginez naturellement Gibet14 dans le rôle-titre).
J'ai donc fait récemment quelques petites emplettes. Le cahier des charges était le suivant :
1) coût raisonnable (période fiscale oblige).
2) encombrement réduit.
3) installation très simple (j'ai beau faire ce petit pas du côté de la dématérialisation, mon esprit reste désespérément rétif à tous les raffinements de la science informatique, et il était hors de question d'empiler plusieurs boîtes ou de jongler avec des programmes compliqués).
4) un son quand même pas trop pourri.
Lorsque Chris (Echek) a mis en vente son Sonic Frontiers Transdac, j'ai sauté sur l'occasion : cette petite boîte est tout à fait seyante et ne déparera pas dans mon bobogourbi, il suffit d'un petit câble optique (étonnamment fin) pour relier le bouzinga à mon ordinateur portable (par la prise casque). J'ai opté pour un Audioquest Forest, qui me rappelle le petit serpent vert du
Vase d'Or, l'un des contes d'Hoffmann que je préfère (voilà, je pense, un critère audiophile tout à fait inédit

).
Premiers essais, sur mon système principal à Grenoble, pour bien cerner les caractéristiques de ce DAC vintage. Eh bien c'est assez étonnant, en comparaison directe avec mon lecteur Meridian 596. Des deux côtés, le son est assez riche, avec des timbres bien incarnés, ce qui est une qualité que je recherche. L'ensemble ordi (Macbook Pro) + Transdac propose un son qui me paraît cohérent et fluide, et même légèrement plus élégant que celui du Meridian. Celui-ci est plus "punchy", un peu moins fin, mais il garde une vraie suprématie sur le terrain de la scène sonore, beaucoup plus ouverte (le Transdac n'est pas sans relief, mais il resserre clairement les rangs des musiciens, c'est très "centré").
Voilà, merci à Chris pour ses conseils et pour le colis postal à l'épreuve des balles. Le transdac sera du prochain voyage à Paris, où il rejoindra ses nouveaux petits camarades sur l'étagère.