Tout est dans le titre.
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La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 22:49

Revenons sur le disque mythique selon Gism ;  comme cela a été vu lors de l'exposition de sa thèse , à savoir " le CD a tué le disque mythique " , sa théorie ne tient pas la distance  . Quiconque un tant soit peu musicalement cultivé sait que ne pas relativiser les chiffres de vente revient à exclure des disques fondamentaux dans l'histoire des musiques , des disques qui, dans le cercle des amateurs, d'un genre donné sont parfois (car le mot est quand même à la mode)  qualifiés de mythiques parce que  ces amateurs ne peuvent les ignorer et qu'ils représentent des jalons importants dans l'évolution d'un style . On peut cependant essayer de voir comment ces disques là (en Rock) ont peu à peu perdu de la visibilté pour le grand public pour arriver à la situation de flou actuelle , le numérique y a sa part mais est loin d'en être la seule cause .

Je ne l'ai appris qu'il y a peu, ce genre de considération n'étant pas trop mon centre d'intérêt , mais ce fait me semble être un bon point de départ :
23/11/68 ,  Electric Ladyland est no 1 dans les charts US (http://www.billboard.com/#/charts/billb ... 1968-11-23) .
Je savais bien qu'Hendrix était un gros vendeur mais qu'un tel disque puisse avoir autant marché m'a surpris et j'y vois bien un symbole fort d'une période où la créativité pouvait atteindre les masses et donc créer à foison du disque important autant artistiquement que socialement ; quand j'ai commencé à écouter du Rock, Jimi était mort et à lire les revues françaises je sentais bien qu'une page était en train de se tourner tellement le sentiment d'un monde perdu transpirait des pages , en juste quelques années the dream was over et la musique n'aurait plus ce souffle à la fois porté et créé par la masse nombreuses des amateurs (voir le no. de R'nF, automne 73, consacré au livre de Peellaert/Cohn , "rock dreams" ) ; cependant le discours était encore à l'ouverture , on pouvait intégrer dans ses écoutes des choses aussi diverses que Fairport Convention ou Can , la critique , l'information ( je ne peux là que témoigner de la situation française), la distribution et donc la possibilité pour un disque d'atteindre son public ne raisonnaient pas encore en termes de secteurs à publics ciblés, de chapelles . Pourtant , elles sont arrivées assez vite , la première fut celle du hard-rock suivi de peu par le progressive rock ; à partir de ce moment , qu'un disque arrive à avoir la quasi universalité d'E.L.D était impossible ; il ne faut pas négliger non plus la question générationnelle , pratiquement tous les 5 ans arrive un nouveau public , avec son style ou ses artistes , les chances , pour un nouveau disque de toucher tous les âges s'en trouvent amoindries (voir Laurent Chalumeau citant quelqu'un d'à peine plus jeune que lui :  " Le London Calling de ma génération, c'est " Zen Arcade", ou la perplexcité de la génération flower power face à  groupe comme Slade en 72 ) , l'effet se cumulant au fil des années .
Arrive 1977 et le punk , en gros, le blues n'est plus la source première et l'expression prime sur la technique musicale mais son apport le plus important je le vois dans l'esprit du DIY qui va impulser , pour les scènes indies qui ont suivi,  la volonté de se prendre en mains , d'où des publications  plus confidentielles et cela pour des disques qui se révèleront importants de par leur influence , citons Joy Division,   le hardcore US ( Flipper, Dead Kennedys ...) ou la No-Wave de NYC ; nous sommes donc dans un schéma de création d'un disque totalement différent que l'on pouvait trouver de, disons, 65 à 75,  époque à laquelle les majors ou des labels distribués par leur intermédiaire ont , globalement, couvert les diverses scènes , les gros vendeurs n'étant pas coupés culturellement de l'underground, de la créativité ; c'est cette coupure qui deviendra béante après le post-punk pendant les 80s .
Nous y voilà donc, les 80s et, tapis dans l'ombre,  le numérique ! D'un strict point de vue de l'apparition de gros vendeurs , il est difficile de soutenir que le CD ait eu une influence néfaste ( Sting, Madonna, Jackson, U2 , Dire Straits etc ...) , ne pas oublier l'outil de marketing que fut MTV ;  le tiroir caisse a fonctionné à plein régime, d'une part avec la promotion d'une musique sans saveur et d'autre par la réédition des catalogues déjà existants , rentabilité maximale , les fusions des 90s se profilent à l'horizon (ce qu'avait prévu Nick Cohn dès 1969) , l'artisanat a fait place à une très grosse industrie (voir à ce sujet "hotel california" de Barney Hoskyns ) ; à noter que les Indies arrivent encore à sortir des choses qui atteignent un public conséquent ( REM, Smiths par exemple) , mais il s'agit là de labels ayant des contrat de distributions avec les majors , les disques sont facilement accessibles . En conséquence de l'esprit DIY de 77 , des scènes vraiment parallèles et indépendantes se sont développées (punk hardcore , indus) dès les début des 80s , suivies quelques années plus tard par celles qui tournaient autour de la techno et ses variantes ; tout cela a été laissé de côté par les majors  qui n'ont pas su  signer des artistes majeurs comme Sonic Youth à leurs débuts , ou même Nirvana qui, sans l'appui des précédents n'auraient jamais sorti leur second album chez Geffen et arriver ainsi à toucher un très grand public ( en CD pour le plus grand nombre) ; l'illusion que "tout pouvait recommencer" fut de courte durée , le pli était pris , un mur s'était créé entre la musique des masses et la créativité , comment expliquer autrement qu'un groupe comme Tortoise n'ait pas pu devenir un équivalent, en terme de public, du Floyd 70s ?
Mine de rien nous sommes dans les 90s et là , le numérique va commencer à vraiment compter et pas pour des raisons sonores ...
La vraie révolution du numérique, c'est le mp3, Napster a ouvert la boîte de Pandore et depuis , impossible de faire machine arrière , au début les indies semblaient s'en moquer mais désormais elles en souffrent elles aussi , même celles qui sont spécialisées dans des musiques moins accessibles ; on se retrouve désormais avec un accès quasi gratuit à la musique ; les majors ont encore réduit l'offre allant au plus rentable , la création  étant , rien de nouveau comme je l'ai déjà signalé, confinée chez les éditeurs indies qui le sont de plus en plus, indépendants , sans les contrats de  distribution des majors ; en conséquence,  toute structure pyramidale a disparu ce qui n'empêche en aucun cas les publications sous les formes les plus diverses : CDs, fichiers, LPs, cassettes , comment donc alors un disque innovant peut-il arriver à toucher ne serait-ce qu'une génération ?
En ce qui concerne le Jazz on peut aussi souligner quelques points communs dans l'évolution des systèmes de diffusion , toutes proportions gardées de point de vue des chiffres de vente ; tout d'abord , il ne faudrait pas idéaliser le passé, l'industrie a peu investi dans cette musique se contentant de distribuer puis d'assimiler les labels indépendants qui ont fait la richesse du répertoire , c'était déjà beaucoup et permettait de trouver partout, début 70s, Monk,  Coltrane, Shepp, Braxton ou Miles (l'un des rares ayant un contrat avec une major) ; la cassure a , là aussi, eu lieu fin 70s , le cas de la Loft Scene de New York est un bon exemple car aucun gros label n'a voulu travailler avec ces artistes ou alors pour en faire autre chose ( cf. Arthur Blythe) ;  quelques années plus tard , comme un SAV des programmes de rééditions en CD des incunables du passé , ces mêmes  maisons sont venues  nous proposer des musiciens endimanchés comme dans les 50s , musique au diapason du chiffon . Pendant ce temps des véritables successeurs des Blue Note, Prestige ou Riverside ont éclos de toutes parts (regardez la liste des labels sur le site de l'European Free Improvisation ) ce qui ne facilite pas la visibilité des oeuvres et donc l'émergence de disques reconnus par une majorité d'amateurs , ne parlons pas du grand public, il est out depuis un moment et l'analyse de l'évolution de ses capacités à écouter le Jazz post-Coltrane est un autre débat qui ne serait pas étranger à la fin des utopies 60s , celles qui ont leur part de responsabilité dans les charts de 68 .
Dernière édition par PP_65 le 18 Avr 2013 à 09:58, édité 1 fois.

Re: La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 23:16

Analyse brillante et juste.

Il y a aussi l'aspect économique à mettre en parallèle.
Tu parles d'artistes, d'autres causent de produits, de marché et de business,
quel que soit le support de sortie.
Autrement dit, ce qui sort doit être vendu, consommé et dégager ou maintenir une marge correcte.
Avec un bon produit, bien qualibré, pour le public auquel il s'adresse.
On peut maquiller ce processus, mais cela reste du marketing.
D'où l'émergence actuelle du revival vinyl dans la grande distribution, spécialisée ou non.

Re: La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 23:17

Je ne pensais pas que ton ordi te permettait de mettre autant de mots dans un seul post.
C'est un nouveau modèle ?

Stéphane

Re: La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 23:19

Il n'aurait jamais fait ça sur l'ex-vert, qui aurait eu le temps de planter 10 fois.

Pascal.

Re: La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 23:19

Je mets des lunettes, ça me permet de ne pas avoir un seul mot sur l'écran .

Re: La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 23:20

à un moment, j'ai cru à un anti-CR du KOB à 4 euros.

Pascal.

Re: La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 23:28

Mazette, PP se lance.
Je trouve ton analyse intéressante.
J'ai le sentiment aussi qu'une époque (65-75) a vu se conjuguer une révolution musicale et l'accès au grand public, dans le domaine du rock. L'analyse des raisons de la fracture qui s'est opérée plus tard entre ces deux mondes est complexe. Nous sommes d'accord en tous cas sur le fait que le format CD n'y est pour rien.
Je crois que cette fusion est exceptionnelle. L'histoire de la musique montre que le plus souvent que l'avant garde a du mal à s'imposer, c'est vrai je crois dans tous les genres musicaux : classique, jazz, rock.
Mais il semble y avoir des périodes de "consolidation", ou la révolution en cours est une forme de maturation. On peut alors avoir cette conjonction de deux mondes opposés (l'avant garde et le grand public).
Je ne suis pas certain que l'industrie du disque ait un rôle là dedans.

Re: La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 23:39

Elliott Murphy, dans un grand moment de lyrisme, comparait les 60s à la Renaissance, il y a du vrai, comme il y a aussi du vrai dans le fait que les majors ont changé de politique (sous pression des actionnaires) dans les 80s, j'ai vu, sur Arte, le témoignage de quelqu'un qui l'a vécu de l'intérieur et qui allait dans ce sens ; une réponse plus sûre pourrait être donnée par une étude des évolutions financières des majors .
Dernière édition par PP_65 le 11 Mar 2011 à 23:48, édité 1 fois.

Re: La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 23:40

à un moment donné, l'"avant garde" n'a-t-elle pas été quasi autant exposée que le "grand public"?

pascal.

Re: La fin du disque "mythique"

11 Mar 2011 à 23:46

ça dépend de laquelle on parle , en Rock, on peut dire que oui .

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 00:13

PP_65 » 11 Mar 2011, 22:39 a écrit:Elliott Murphy, dans un grand moment de lyrisme, comparait les 60s à la Renaissance, il y a du vrai, comme il y a aussi du vrai dans le fait que les majors ont changé de politique (sous pression des actionnaires) dans les 80s, j'ai vu, sur Arte, le témoignage de quelqu'un qui l'a vécu de l'intérieur et qui allait dans ce sens ; une réponse plus sûre pourrait être donnée par une étude des évolutions financières des majors .


Les majors, qui ont pour seul but le profit, n'ont-elles pas fait cette analyse que la période de fusion des contraires était passée? Elle en auraient tiré la conséquence : tant pis pour l'avant garde, fonçons sur la soupe commerciale.

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 00:21

Simplement une nouvelle génération de directeur "artistique" au sein des majors.

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 00:37

ça a pu jouer, mais si la poule aux œufs d'or avait toujours été là, elle aurait continué à être exploitée.
Pour moi, l'âge d'or était terminé. C'est très subjectif bien sûr : j'étais de plein pied avec la période 1965-1975; je n'ai pas retrouvé cela plus tard. Peut-être est-ce une affaire de génération, mais j'ai décroché de l'avant garde au moment du mouvement Punk, et je n'y ai plus recollé, c'est ce qui me différencie de PP.

La musique contemporaine est aussi un bon exemple. Je suis branché sur France Musique toute la journée (quand je ne passe pas de dixes). J'ai donc eu ma dose de musique contemporaine, et bien mon paysage musical "classique" s'arrête à Poulenc et Dutilleux. Rien à faire pour une partie importante de cette musique du 20ème siècle. Bel exemple de dissociation complète de l'avant garde dans ce domaine, et le matraquage n'y change rien pour moi.

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 01:08

je suis d'accord avec toi.

J'avais 17 ans en 1974. Il y avait une richesse musicale et créative incroyable pour ce qui est du rock
(terme générique) qui était distribuée partout chez les disquaires à l'ancienne.

Cohabitaient du boursouflé, style ELP ou Yes, et de l'expérimental style No Pussyfooting ou Faust.
On avait le choix.
Puis ensuite sont arrivés les distributeurs qui ont tués les précédents disquaires, avec l'aide du CD, en tant que produits de consommation de masse, vendus comme des pots de yaourt.

Actuellement, toutes les productions nouvelles des majors sont standardisées,
et ne font que reprendre les mêmes gimmicks et poses usés.
Tu as facilement 10 groupes qui sonnent comme The X sur lesquels on va s'extasier avant les prochains.
Des machins qui arrivent et dégagent aussi vite (rotation accélérée), style Block Party.
Et maintenant du numérique balancé sur une galette noire, pour les snobs :)

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 02:30

kaneda64 » 11 Mar 2011, 23:13 a écrit:
Les majors, qui ont pour seul but le profit, n'ont-elles pas fait cette analyse que la période de fusion des contraires était passée? Elle en auraient tiré la conséquence : tant pis pour l'avant garde, fonçons sur la soupe commerciale.

L'argent appelle l'argent, il faut que tu lises "hotel california" , David Geffen, avec ses méthodes à la hussarde a bousculé les habitudes pépères de tout le milieu .

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 02:37

reglisse » 11 Mar 2011, 23:21 a écrit:Simplement une nouvelle génération de directeur "artistique" au sein des majors.

C'est aussi un fait , lorsque Clive Davis a donné carte blanche à Steve Backer pour qu'il monte le sous-label Arista-Novus, il devait y avoir une part d'inconscience mais aussi du respect pour l'avant-garde du jazz et moins de pressions pour des budgets rigoureux .

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 02:42

kaneda64 » 11 Mar 2011, 23:37 a écrit: mais si la poule aux œufs d'or avait toujours été là, elle aurait continué à être exploitée.

La question que je me pose concerne l'évolution de l'exploitation de cette poule  ? Je conjecture des méthodes et des objectifs financiers très différents à partir du début des 80s de ceux qu'ils étaient auparavant .

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 08:38

Je ne suis pas sur de complement suivre cette longue demonstration meme si je pense etre d'accord avec sa conclusion: le mp3 (ou plutot l'internet) est en train de tuer l'industrie du disque. Mais ca ne veut pas dire que la musique est morte, qu'il ne sort plus d'oeuvres mythiques ou que plus personne n'ecoute de musique. Au contraire l'internet, le partage de mp3 ou meme itune permet a un grand nombre d'acceder a plein de musique pour pas cher. Combien coutait Electric Ladyland a sa sortie, combien de copies ont ete vendues en 68 ?

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 09:53

Ben moi j'aime bien PP quand il développe comme ici.
Pourvu que ça dure.

Stéphane

Re: La fin du disque "mythique"

12 Mar 2011 à 10:44

steph2401 a écrit:Ben moi j'aime bien PP quand il développe comme ici.
Pourvu que ça dure.

Stéphane



Arf ! Comme quoi il est bon de fouetter l'élève jusqu'à ce qu'il apprenne à se tenir...

Bon, mais le discours n'a pas changé d'un iota.
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