Bon, l'été est fini, vous avez remarqué. Donc après quelques bourlingues et autre farniente, il serait temps que je m'y remette. J'ai reçu des centaines de mails, et je vous remercie pour votre patience, surtout que quelques merveilles commencent à s'accumuler.
Reprenons au mois de juin pour remonter doucement jusqu'à cet automne qui commence avec quelques réjouissances. La suite, bientôt !
Max Jury,
« Modern World », 14 juin 2019
Attention craquage possible. Max est sans conteste à hisser sur l'une des marches du podium des meilleurs mélodistes actuels dans le domaine de la pop. Son premier album, fort simplement intitulé « Max Jury », avait déjà révélé, en 2016, l'évidence du talent du jeune homme. Max fait des chansons plutôt douce-amères et souvent irrésistibles. En plus il les balance d'une voix qui se fait ici bonbon fondant ou velours caressant et les enveloppe d'arrangements raffinés, sur un lit de rythmiques chaloupées qui relèvent le plat. Je mettrais ma main dans le vinyle fondu que le gamin a écouté Marvin, Smokey ou Curtis. Une deuxième réussite qui vous colle au cœur et au corps et qui devrait normalement, si tout le monde a des oreilles, faire parler de lui. Si ça n'était pas le cas, on le garderait bien protégé dans notre petite boîte aux trésors, ces petits secrets qui font le sel de la vie, comme Elliott Smith, Ron Sexsmith, Kurt Vile, les Nits et quelques autres.
Magma,
« Zëss », 1er juillet 2019
Magma est un groupe à part. Vous en connaissez beaucoup qui célèbrent leur 50 ans de carrière ? Christian Vander ne laissera pas la flamme s'éteindre. Sa passion et son exigence sont trop présentes. Un seul morceau sur ce disque, une suite de 38 minutes, Zëss. Le groupe a joué des esquisses de cette pièce, un certain nombre de fois sur scène, depuis des années, mais n'en avait jamais gravé de version studio. Pensez-donc,
« le jour du néant », celui après lequel plus rien n'existe. Ça doit foutre les jetons de graver ça dans le marbre. Ou même dans le polycarbonate.
Quelques versions live existent déjà, cependant, dans le catalogue, esquissant l’œuvre finale. Une surtout, enregistrée dans la collection DVD
« Mythes et Légendes», lors d'un concert de 2005 au Triton, restera dans les mémoires. Son intensité effarante n'en fait pas une chose à prendre avec des pincettes. On n'en sort pas indemne.
Magma a pris le temps, et la version studio qui vient donc de paraître, si elle est bien différente, n'en est pas moins superbe. D'une intensité plus concentrée, moins violente. L'ajout d'un arrangement d'orchestre classique (le Philharmonique de Prague) et l'utilisation décisive d'un piano acoustique en lieu et place du Fender Rhodes (et tout ça pour faire deux accords pendant 30 minutes) lui donnent une grandeur et un recul nouveaux.
Laquelle des deux version préférer ? L'engagement invraisemblable, jusqu'à la frénésie, de l'improvisation vocale de Vander sur la version DVD, digne des explorations sans limite des solos de John Coltrane dans ses dernières années, jusqu'aux sommets de démence atteints par Vander au « chant », James McGaw à la guitare et Antoine Paganotti à la batterie, reste irremplaçable. On ne retrouvera pas la folie et la lisibilité de cette version live de 2005. Par ailleurs, le sous mixage de la batterie du batteur invité, Nils Morgren, dans la version de 2019, fait regretter le tranchant dingue du jeu de Paganotti.
Cela n'empêche pas ce Zëss studio d'être immense. Aspiré par la musique, on parvient à se figurer que, en effet, c'est le dernier jour. Après le dernier accord, il n'y aura plus RIEN ! La terre, l'univers, la vie, ce sera fini. Ne rigolez pas, quand vous avez cette intuition dans le ciboulot, je vous jure que ça fige son bonhomme. Partant de là,
Zëss peut être écouté comme un immense chant d'adieu et de remerciement. Auquel forcément, l'auditeur happé que je suis participe.
Entre les deux versions, pas de choix à faire donc. La fièvre et l'énergie volcanique de la version Live de 2005, ou la grandeur métaphysique de cette si attendue version studio.